mardi 5 novembre 2013

"Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18"

 
Dans quelques jours, nous fêterons nationalement les 70 ans du défilé du 11 novembre 1943 organisé par les maquis de l'Ain et du Haut-Jura, sous la coupe de leur chef, Henri Romans-Petit. Événement d'envergure mondiale, mon article ne le résumera pas, ayant fait l'objet d'une multitude de récit. Seuls les préparatifs de ce tournant seront racontés.


« Notre force est réelle »

Eté 1943. Le département de l'Ain se trouve dans la zone dite libre. La résistance tout comme la collaboration y sont actifs.

A la tête des forces des maquis de l'Ain et du Haut-Jura l'Ain se trouve le colonel Henri Petit, surnommé Romans. Trois groupements subdivisent le département : le Groupement Nord, pour la région de Nantua, Bellegarde et Oyonnax, commandé par Noël Perrotot (Montréal pour la Résistance) ; le Groupement Sud, pour la région du Bugey et du Valromey, dirigé par Henri Girousse (Chabot, objet d'un précédent article) ; le Groupement Ouest, pour la région de la Bresse et de la Dombes, avec Elie Deschamps (Ravignan).

En août 1943, à son poste de commandement de Granges, Romans tient une réunion avec les chefs des trois groupements. Son idée est simple : l'image de la Résistance et notamment des maquis est l'objet d'une diabolisation constante de la part des autorités vichystes mais jouit aussi d'un manque de crédibilité du côté de Londres malgré une organisation remarquable. Il devient donc nécessaire de montrer aux populations un visage différent et leur transmettre un optimisme nécessaire pour les activités résistantes. Et quoi de mieux que la célébration du 11 novembre, interdite par Vichy mais ayant une place particulière dans le cœur des Français.

Mais où défiler sans trop se risquer ? La ville choisie, pour l'instant dans le secret d'une dizaine d'hommes, sera un lieu favorable aux résistants, faible en troupes d'occupation, et suffisamment important pour être remarquée. Plusieurs fausses pistes sont annoncées afin d'éviter les fuites : Ambérieu-en-Bugey, Belley, Bourg-en-Bresse, Nantua, Oyonnax... Dans chacune de ces villes sera déposée une gerbe devant le monument aux morts, où sera inscrite "Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18".

Les chefs régionaux, Albert Chambonnet (Didier) pour l'Armée secrète, Henri Jaboulay (Belleroche) pour les maquis, donnent leur accord à Romans. Le défilé aura lieu.


Un défilé très loin d'être improvisé

La nuit du 7 au 8 novembre 1943, après avoir été en reconnaissance des lieux, Romans met au point les préparatifs du défilé du 11 novembre, en présence des responsables départementaux et locaux, notamment Edouard Bourret (Brun), Ravignan, Gabriel Jeanjacquot (Gaby), Jeanne Moirod, Montréal et Jean Ritoux (Demain).

Tout est chronométré, planifié. La ville, encore secrète, doit être neutralisée, mission confiée à Brun : le réseau téléphonique sera coupé, la gendarmerie, le commissariat de police, la poste et l'hôtel de ville seront aux mains des maquisards. La resistance locale, menée par Eugène Barbe (Antoine), devra protéger la foule mais aussi surveiller et suivre les suspects de collaboration. Enfin, l'accès à la ville sera étroitement surveillé par les chefs de trois camps  : Charles Blétel (Charles) pour celui de Cize, Georges Béna (Michel) pour celui de Granges, Hyvernat (Commis) pour celui de Chougeat. Chabot est chargé de la logistique. Il doit trouver des bonnets et des uniformes ; ce seront ceux provenant de l'expédition contre le chantier de jeunesse d'Artemare deux mois avant. Quant aux armes, elles seront les plus semblables possibles, la légende voulant que certaines étaient factices pour une meilleure uniformité. En ce qui concerne les véhicules, ils sont trouvés à Tenay, dans un dépôt de la Régie des Transports de l'Ain.

Gaby, Montréal et Ravignan sont chargés de préparer le défilé en tant que tel. Le plan du défilé est dessiné pour la gestion de 120 maquisards. Quatre officiels seront présents : Romans, bien sur, chef des maquis de l'Ain, mais aussi des représentants des maquis de la région : Henri Jaboulay (Belleroche, dont le fils tournera le film du défilé), chef régional, et deux de ses adjoints, Lucien Bonnet (Dunoir) et Charles Mohler (Duvernois). Sept maquisards seront chargés de leur protection : Maurice Chevalier, Louis Cini, Francis Hérin, Michel Jacquet, Raymond Massacrier, René Mérinieux et Roger Tanton.

Les troupes conviées seront trois sections des camps de Morez, dirigé par Pierre Marcault (Marco) et de Corlier, commandé par Jean Vaudan (Verduraz). Le tout étant encadré par leurs chefs : Pierre Chassé (Ludo), Chabot et de Jean-Pierre de Lassus Saint-Geniès (Legrand). Sans véritable formation militaire, ces maquisards seront brièvement formés sur le plateau d'Hotonnes au pas cadencé et au maniement des armes.

Un drapeau venu d'Hotonnes sera accompagné par six maquisards (Jean Chevalier, Roger Gelounaud, Marcel Grummault, Raymond Mulard, Charles Sartory et Jean Vandeville). La gerbe sera portée par trois hommes : les jumeaux Roche (Julien et Marius) et René Escoffier.

Tout est fin prêt, une dernière réunion se déroule en cette veille du 11 novembre. Le défilé se profile...


Destination : Oyonnax

Ce matin du 11 novembre 1943, sept camions partent de Corlier et d'Hotonnes pour une direction connue seulement par une poignée de personnes... mais aussi par les habitants de la ville, de façon à les mobiliser. Des tracts ont été envoyés les deux nuits précédentes, invitant « la population à assister à la manifestation qui aura lieu aujourd'hui à 11 heures et par laquelle nous ferons comprendre à l'envahisseur et à nos collaborateurs que ce 11 novembre est le dernier que nous passons dans la servitude ».

Passé Echallon, il faut attendre un passage entre Charix et Apremont pour que les participants au défilé apprennent leur destination de la bouche de Romans : il s'agira de la commune d'Oyonnax. L'endroit est stratégique : Oyonnax est une ville importante du département (12 000 habitants), située à la limite du Jura et donc de la ligne de démarcation, peu occupée par les Allemands mais aussi le centre d'une activité résistance très active avec son Armée secrète locale et avec, en premier lieu, son commissaire de police, le capitaine Verchère. Deux des trois responsables des groupements de résistance de l'Ain en sont originaires : Ravignan y est professeur, tandis que Montréal y a grandit.

Le plan prévu lors des journées précédentes est mis en place : Oyonnax est coupée du reste du pays téléphoniquement, ses accès, ses murs, son cœur sont neutralisés par la résistance locale et par les troupes des maquis.

Il est 11h55 en ce 11 novembre 1943. Malgré une heure de retard sur ce le programme initial, le défilé commence... Plus d'une centaine d'hommes entrent dans l'Histoire.

Défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax (Musée de la Résistance de Nantua)

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