mardi 26 mars 2013

Hélène Gillet, celle qui évita la mort par celle de son exécuteur

Contrairement aux autres articles, celui-ci ne se base pas sur des documents contenus aux Archives départementales de l'Ain, mais sur une histoire que j'ai entendu il y a quelques années. Une histoire peu banale qu'elle mérite d'être partagée à ceux qui ne la connaissent pas.


Qui est Hélène Gillet ? 

L'an 1624. Hélène Gillet mène une vie bourgeoise dans cette petite ville de justice qu'est Bourg-en-Bresse. Elle a 22 ans et est la fille de Pierre Gillet, châtelain-royal de la ville, pour simplifier premier magistrat dans la justice royale. D'une grande beauté, pieuse et pleine de vertus, Hélène attire le regard des hommes.

Une rumeur

Du fait de la charge occupée par son père, les rumeurs vont bon train dans la ville. Hélène aurait été enceinte alors qu'elle n'est pas mariée. Et où est le bébé ? Il faut alors rappeler que depuis une ordonnance du roi Henri II en 1556, l'avortement ou le meurtre d'un enfant sans que celui-ci ait reçu le baptême est passible d'une condamnation à mort. Le bailliage-présidial de Bresse, c'est-à-dire le plus haut tribunal de la province, ordonne alors une visite médicale d'Hélène par des médecins et chirurgiens. La rumeur avait vu juste : la personne visitée a bien accouché dans les jours ou semaines précédents.

Un jugement logique

Passant devant les juges du bailliage-présidial, Hélène est interrogée et avoue en partie les faits. Un bressan employé par son père pour enseigner la lecture et l'écriture à ses frères l'aurait sollicité. Violent, déterminé, il parvient à convaincre l'une des servantes des Gillet. Ensemble, ils réussissent à enfermer Hélène dans une chambre. L'homme la contraint à avoir un rapport avec elle. C'était huit ou neuf mois avant ce procès...

Néanmoins, Hélène ne parle pas de l'enfant, restant vague sur les détails. Mais quelques jours plus tard, un soldat se promenant vers la muraille de la ville et à proximité du jardin des Gillet aperçoit un corbeau tirant un drap : enveloppé dans une chemise se trouve le corps d'un nouveau-né. Des initiales brodées sur ce tissu indique ce que tout le monde pense : H.G., initiales d'Hélène.

Le 6 février 1625, Hélène Gillet est condamnée à mort, ce que confirme le Parlement de Dijon le 12 mai. Il est à noter que dès l'arrestation de sa fille, Pierre Gillet n'intervient plus et refuse même de parler d'elle. Seule sa mère l'accompagnera jusqu'à Dijon.

L'échafaud

Car c'est à Dijon que se déroule l'exécution d'Hélène Gillet, et plus exactement sur la place du Morimont, lieu habituel des décapitations et des pendaisons de cette ville. La condamnée, eu égard de sa qualité de noble, aura le privilège de la décapitation par l'épée.

Le 12 mai, jour-même de la confirmation du jugement, Hélène se présente, toute de blanc vêtue, accompagnée de son bourreau, Simon Grandjean, et de son épouse née Chrétien, elle-même issue d'une famille d'exécuteurs.

Seulement, Grandjean n'est pas dans une forme habituelle pour un bourreau. Il chancelle, gesticule et demande même pardon à la condamnée, lui disant qu'il ne peut pas aller jusqu'à la mise à mort. La foule lui demande alors de faire son travail, malgré sa justification d'une fièvre tenace depuis plusieurs mois.

Allant frapper le coup fatal, il rate la condamnée en la frappant sur l'épaule gauche. Honteux, il met son honneur et sa vie au peuple, qui l'assène alors de pierres.

Mais son épouse surgit sur l'échafaud, relève la condamnée, qui s'en va d'elle-même poser sa tête sur la potence. Le bourreau, échappé à une lapidation, reprend son épée et donne un second coup, en vain encore une fois ! La foule est furieuse, le bourreau descend jusqu'à la "chapelle", cachot destiné aux condamnés à mort.

La bourrelle veut achever le travail, prend la corde qui servait à ligoter Hélène, et cherche à l'étrangler. La condamnée se débat, la bourrelle la frappe tout en l'étranglant. Mais les spectateurs prennent alors parti pour Hélène et lancent des pierres sur la bourrelle. Les esquivant au possible, elle tire sa victime par les cheveux, lui faisant ainsi descendre les marches en bois et en pierre de l'échafaud, prend des ciseaux et tente de l'égorger. Mais étant empêchée de le faire, elle parvient "uniquement" à la blesser au visage, au cou et à l'estomac.

La foule alors sauve Hélène et massacre le bourreau sorti de son cachot et la bourrelle. Certains témoignages parlent d'une immolation, d'autres de coups de pierres, de marteaux et de poignards.

Sauver Hélène : un destin venu d'Angleterre

Hélène est alors transporté chez l'un des plus grands chirurgiens de la ville, Nicolas Jacquin. Celui-ci ne décèle aucune blessure mortelle, ce qui est miraculeux. Il dénombre par contre les différentes blessures : deux coups d'épée sur le dos et le bras gauche, six coups de ciseaux (sur la jugulaire, sur la gorge, sur la lèvre inférieure et entrant dans le palais, sur le sein et sortant entre les deux côtes, et deux sur la tête assez profondément) et de très nombreux coups.

Dès le lendemain, le 13 mai, une délibération de la ville de Dijon relate les meurtres du bourreau et de son épouse ainsi que les faits de cette exécution ratée et exceptionnelle, figurant sous les termes d'"un cas des plus estranges dont l'on aye ouy parler il y a longtemps". Une expression particulière y résume bien le destin d'Hélène Gillet : "ayant évité la mort par celle de l'exécuteur". Le but de cette délibération n'est pas de sauver Hélène, ce qui est du ressort des tribunaux, mais de dresser un procès-verbal contre la foule massacrante "affin que cela serve d'exemple pour contenir le peuple dans le respect et l'obéissance qui est dehue aux magistrats, et éviter une autre plus grande sédition qui arriveroit par impunité".

Quant à la justice, elle place la condamnée sous la protection d'un huissier : la condamnation n'est qu'ajournée pour l'instant. Un comité de soutien à Hélène Gillet se forme, avec comme figure centrale un célèbre avocat bourguignon : Charles Fevret. Celui-ci se présente devant le Parlement et remet une lettre de demande de grâce à adresser au roi de France. Il y souligne l'aspect prodigieux et divin des faits survenus.

Encore une fois, le destin joue en la faveur d'Hélène Gillet : le roi se trouve en Angleterre pour le mariage de sa soeur Henriette avec le roi Charles Ier (qui ironie du sort sera lui-même décapité quelques années plus tard). Louis XIII, surnommé plus tard "le Juste", met ce surnom en exergue en accordant son indulgence. Sa lettre de grâce stipule :

"Eu égard à l'imbécibilité (ndla : faiblesse) de son sexe et de son aage, et à la diversité des tourmens qu'elle a soufferts en ses divers supplices qui esgalent voire mesme surpassent la peine de sa condemnation ; à ce que la vieillesse de ses père et mère relevée de cette infâmie, elle convertisse sa vie à l'employer à louer Dieu et le prier pour notre prospérité ; sçavoir faisons [...] nous avons à ladite Hélène Gillet, suppliante, quitté, remis et pardonné, quittons, remettons et pardonnons par ces présentes signées de nostre main."

Qu'est devenue Hélène Gillet ?

Son avenir est plus flou. Soignée au couvent des Bernardines de Dijon, elle semble y être resté quelques années avant de devenir religieuse dans un couvent en Bresse. Selon le témoignage de soeur Françoise du Saint-Esprit, il demeure pour sûr qu'Hélène Gillet survécut jusqu'à l'âge de 90 ans et se serait éteinte paisiblement.



Bibliographie

CHAUDON, Louis-Mayeul. Nouveau dictionnaire historique ou Histoire abrégée. Lyon, Bruyset frères, 1789. 718 p.

NODIER, Charles. Contes de la veillée. Paris, Charpentier, 1860. 432 p.

NODIER, Charles. Oeuvres. Bruxelles, C.J. De Mat, 1832. 373 p.

PEIGNOT, Gabriel. Histoire d'Hélène Gillet ou relation d'un évènement extraordinaire et tragique survenu à Dijon dans le XVIIe siècle. Dijon, Victor Lagier, 1829.



3 commentaires:

  1. christian vouillemet25 octobre 2013 à 14:14

    cet article ne reprend que ce que l'on sait déjà. On dit aussi que Hélène Gilet serait la petite du sénateur Antoine Favre, baron de Pérouges . Avez vous fait des recherches en ce sens? Histoire de ponctuée cette histoire surprenante.
    Christian Vouillemet

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