lundi 20 mai 2013

"Peut-être notre exil prendra fin bientôt" : la Kriegsgefangenenpost entre Français

Parmi les nombreux dossiers de la sous-série 1548 W des Archives départementales de l'Ain (demandes de cartes de combattants volontaires de la Résistance), l'un d'eux m'a apporté une pièce rare et originale, servant de justificatif pour la présence dans un camp : une carte postale dont l'expéditeur et le destinataire sont tous les prisonniers de guerre.

Notre vision actuelle des camps se résume souvent aux camps de concentration ou d'extermination. Mais il ne faut pas oublier les camps de prisonniers de guerre. Ces camps, bien évidemment aux conditions de vie très rudes, étaient malgré tout relativement libres. Les soldats prisonniers gardaient leur uniforme, pouvaient conserver un canif, pouvaient sortir du camp pour se ravitailler en ville, travaillaient, etc.

C'est ainsi que des correspondances se faisaient entre les camps de prisonniers (Kriegsgefangenenlager) via des cartes postales intitulées Kriegsgefangenenpost (Correspondance des prisonniers de guerre). C'est le cas de celle retrouvée parmi un dossier.

Recto de la carte postale de M. Bornarel à L. Fayol (1548 W. Archives départementales de l'Ain)

L'expéditeur : Maxime Bornarel

L'expéditeur, Maxime Bornarel, écrit depuis le Stalag III-A, situé à Luckenwalde dans le Brandebourg, à proximité de Berlin. Il m'est inconnu mais il semblerait qu'il soit originaire de la même région ou du même régiment, voire de la même famille que Fayol.

Le destinataire : Lucien Fayol

Le destinataire est celui qui a constitué le dossier de CVR : Lucien Fayol. Le contenu de la carte fait comprendre que le nouveau lager de Fayol n'est pas signe d'une bonne nouvelle selon Bornarel, comme nous le comprendrons plus loin.

Verso de la carte postale de M. Bornarel à L. Fayol (1548 W. Archives départementales de l'Ain)

Le parcours de prisonnier de Fayol

Lucien Fayol est né en 1916. Alors qu'éclate le second conflit mondial, il est un modeste cultivateur dans la petite commune de Belmont-Luthézieu, près de Belley, dans l'Ain. Il est alors incorporé au 28e Régiment de Tirailleurs Tunisiens situé à Montélimar. Le 17 mai 1940, Fayol se fait capturer à La Capelle, dans l'Aisne. Il est alors fait prisonnier par l'armée allemande. S'en suivent plusieurs internements.

Le premier, du 1er au 10 juin 1940 au Stalag II-E.

Puis, du 10 juin 1940 au 12 avril 1942, il se retrouve au Stalag II-D, en Poméranie près de Stargard, où les prisonniers sont destinés à travailler dans des fermes, le tout dans une discipline relativement souple. Il est alors affecté à un kommando de culture à Neuwedell. Il parvient alors à s'enfuir le 12 avril mais est rapidement repris à Munich (Bavière) le 18.

Il est dirigé alors au camp le plus proche, le Stalag VII-A du 20 avril au 1er juillet 1942, situé en Bavière, vers Moosburg.

Enfin, son dernier internement se passe au Stalag III-C, à Alt-Drewitz (dans l'actuelle Pologne) du 1er novembre 1942 à la libération par l'Armée Rouge le 10 avril 1945.

Le passage à Rawa-Ruska

La carte postale de Bornarel est adressée à Rawa-Ruska et Stammlager 325. Fayol y a été interné du 15 juillet au 20 octobre 1942.

Le Stalag 325, situé dans la ville ukrainienne de Rawa-Ruska, proche de Lviv, a été crée en mars 1942. Il est destiné aux prisonniers de guerre français et belges ayant tenté de s'évader ou ayant refusé de travailler dans les camps de prisonniers.

Les conditions y sont dures, avec des températures allant jusqu'à -30°C dans de longs hivers, et de très fortes chaleurs les étés. L'eau et la nourriture y étaient rares, les morts nombreux, ce qui fit dire à Winston Churchill sur les ondes de la BBC que Rawa-Ruska était "le camp de la goutte d'eau et de la mort lente."

Un témoignage étonnant présente l'horreur de ce camp : celui de son chef, le lieutenant Borck. Jugé et exécuté à Nuremberg, il écrit au procureur général du procès de Nuremberg quelques jours avant sa pendaison.

Dans cette lettre du 25 septembre 1946, il met en avant son absence de regrets et sa fierté, avec un goût d'inachevé :

"Je sens bien, Monsieur le Procureur, qu'aux assises de Nuremberg, l'on m'a reproché l'état d'insalubrité de ces bâtiments, le manque d'eau, les brutalités excessives, etc. Mais vous avez lu probablement Clausewitz... : en temps de guerre, seule l'efficacité compte. Je n'ai donc rien à me reprocher."

"Rawa-Ruska restera mon œuvre, j'en revendique hautement la création, et si j'avais eu le temps de la parachever, aucun Français n'en serait sorti vivant."

"Je n'ai donc pu accomplir totalement mon œuvre. Ce ne sont pas les exécutants qui manquaient, ni la foi. Simplement, les impondérables de la stratégie militaire. Je ne suis donc pas le seul responsable. Mais je tiens à préciser que mon plan initial devait se dérouler en deux temps : déportation et extermination."

Sources

Sous-série 1548 W (Archives départementales de l'Ain)

Traduction de la lettre de Borck : 

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Juste un mot pour vous confirmer que Maxime Bornarel, que j'ai connu, habitait le petit village de Samonod situe a proximite du village de Belmont dans l'Ain.

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  2. Merci pour votre témoignage. Cela confirme les liens avec Fayol comme je le supposait. Il n'existe malheureusement aucun dossier de combattant volontaire de la Résistance au nom de Maxime Bornarel, d'où le peu de traces restantes de ce personnage...

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