Le
jansénisme ? Terme barbare et désuet... L'expliquer en un
simple article de blog (au demeurant simple recueil d'histoire
contées et non pas de recherches scientifiques) serait prétentieux.
Ce courant spirituel catholique pourrait être résumé, de façon
très simpliste, comme un mouvement anti-jésuite basé sur
l'Augustinus (1640),
œuvre posthume de Cornelius Jansen (1585-1638), évêque d'Ypres (en
Belgique actuelle) .
Reprenant la théologie augustinienne, il met en
son cœur la notion de grâce divine, la seule permettant à l'homme
de sauver son âme de pécheur par nature, grâce pouvant se
matérialiser par des miracles, notamment des guérisons. Rapidement,
malgré une certaine implantation à Paris et une popularité
grandissante, les thèses de Jansen sont combattues par la Monarchie,
les Jésuites (proches du pouvoir et du pape) et la Papauté, avec en
point d'orgue la bulle Unigenitus
de septembre 1713, fulminée par le pape Clément XI.
Les
convulsionnaires : le jansénisme dans son masochisme
Un mouvement découlant du jansénisme se développe très
rapidement : celui des convulsionnaires. L'approbation divine se
matérialise alors par des miracles différents des guérisons
habituelles, par des convulsions puis par des violences physiques.
Le point de départ des convulsions se trouve au cimetière
Saint-Médard, à Paris, autour de la tombe du diacre janséniste
François de Pâris (1690-1727).
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François de Pâris (auteur inconnu) |
Considéré comme un saint pour
avoir été d'une charité exemplaire, sa sépulture devient le point
de ralliement d'une population de plus en plus importante, espérant
des guérisons, voulant conserver comme une relique la terre
l'entourant... Mais rapidement, dès l'été 1731, des mouvements
convulsifs, exclusivement féminins, sont signalés dans le
cimetière. Celui-ci est alors fermé mais le mouvement prend forme
et se popularise, les convulsionnaires se réunissant dans la sphère
privée.
De plus en plus violentes, les convulsions se transforment en un
spectacle sado-masochiste. Le convulsionnaire doit alors être
secouru par des fidèles, les secouristes, qui frappent, martyrisent
le sujet, pour le libérer de sa possession. Elles deviennent alors
la métaphore parfaite de la persécution des jansénistes, du
Christ, des martyrs. Dès 1733, les réunions sont interdites et les
arrestations se multiplient. Mais bien évidemment, les réunions
clandestines se poursuivent.
Le
mouvement s'étend alors sous l'influence de Michel Pinel lors d'un
véritable tour de France. Mais c'est notamment dans les limites de
la région Rhône-Alpes actuelle qu'il va s'implanter. Deux
personnages vont symboliser cette implantation : les frères
Bonjour.
Les Bonjour : des
tonneliers de Pont-d'Ain aux ecclésiastiques lyonnais
La famille Bonjour,
originaire de Varambon, se déplace à la fin du XVIIe siècle dans
le village voisin : Pont-d'Ain. François, l'arrière-grand-père
des frères dont il est sujet, et Anthelme, le grand-père, sont
tonneliers. Leur père, Claude (1713-1784) est marchand à
Pont-d'Ain. De son mariage en 1740 avec Jeanne-Françoise Revel
(1714-1804), fille d'un cordonnier, il a sept enfants dont quatre
parviennent à l'âge adulte : Anne (1746-1816) qui épousera le
marchand Joseph Gavet, Claudine (1752-1779) qui s’unira avec le
marchand François-Claude Marion, et les deux frères Claude et
François.
Claude, né en 1744, est
l'aîné. Paradoxalement, il se destine à la carrière
ecclésiastique et débute comme professeur de théologie au collège
chartreux Saint-Charles de Lyon avant d'occuper sa première cure,
celle de Saint-Just-lès-Velay (actuelle Saint-Just-Malmont, dans la
Haute-Loire). Il en est chassé au bout de trois années, en 1774.
François, son cadet,
naît en 1751. Comme son frère, l’Église l'attire et devient
vicaire.
En 1775, Claude revient à
proximité de leur berceau d'origine, en devenant curé de Fareins.
Fareins et l'arrivée
des frères Bonjour
Fareins
était alors un village de près de 1 000 habitants situé au cœur
de la Dombes, dans la baronnie de Fléchères, et à proximité des
villages de Beauregard, Chaleins et Messimy-sur-Saône, dans ce qui
peut être défini comme le Val de Saône.
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L'église de Fareins (Archives départementales de l'Ain) |
Succédant
au très apprécié père Lemoine, Claude Bonjour parvient à faire
oublier son prédecesseur par son calme et son dévouement.
Mais
quelques mois plus tard, son frère François arrive dans la paroisse
comme vicaire, en provenance du collège d'Alais, en Languedoc.
Parfais janséniste, François Bonjour impose une vision radicale de
sa religion. C'est alors que les convulsions débutent.
Les convulsionnaires
Le
jansénisme de Fareins se concentre notamment sur des conversations
avec des anges, des visions mais également des violences physiques,
néanmoins moins sévères que les très dures convulsions
parisiennes.
François
succède rapidement à son frère et va plus loin dans le fanatisme
janséniste. Il est surtout pointé du doigt par certains
paroissiens, l'accusant de s'enfermer avec les jeunes filles du
village, les fouettant au martinet, chaque soir, pour les exorciser,
causant « gémissements, coups sourds et marmottages ».
Les mœurs se détournent mais les frères Bonjour sont soutenus :
il est estimé que plus de la moitié voire des deux tiers des
habitants sont ralliés à leurs idées.
Les premiers
miracles... plus ou moins probants
Pour
s'affirmer, le fareinisme voit les miracles se multiplier.
Le
premier retentissement arrive en 1783. Françoise Chatelard, 27 ans,
épouse du tisserand Jean Laurent, souffre de tumeurs au sein. Malgré
l'intervention d'un chirurgien, François Bonjour ordonne à la femme
d'abandonner les soins médicaux et lui impose de mettre comme
onguent l'image de François de Pâris et de réciter une neuvaine.
Elle semble guérir... Le 20 juillet de la même année, la même
Françoise Chatelard, enceinte, traverse le plancher d'une galerie en
bois et se casse la jambe. Malgré les recommandations du chirurgien,
François Bonjour lui demande d'abandonner ses béquilles et atèles.
En pleine messe, il s'écrie alors « Femme Laurent, de la part
de Jésus Christ notre Seigneur, levez-vous, marchez et retournez
chez-vous ». Elle se casse alors à nouveau la jambe, la
fracture n'étant pas encore consolidée. Exaspéré, le chirurgien
refuse de revenir à Fareins et, le 23 septembre, Françoise fait une
fausse-couche puis décède elle-même le 27 octobre.
Quelques
années plus tard, en décembre 1787, une autre action spectaculaire
a lieu. Marguerite Bernard souffre d'une fracture du péroné. Après
une vision christique, elle demande à se faire entièrement percer
les pieds au couteau. François Bonjour s'exécute. Le reste se passe
comme avec la pauvre Françoise : elle se lève en pleine messe
et se fracture à nouveau le péroné.
La crucifixion
d'Etiennette Thomasson : le fareinisme à son paroxysme
Mais
l'acte le plus symbolique du fareinisme mené par François Bonjour
se matérialise par une crucifixion publique.
Etiennette
Thomasson, dont la trace n'a pas encore été retrouvée par mes
soins dans les registres paroissiaux de Fareins, était, selon la
description du vicaire général Jolyclerc, une orpheline, folle,
délirante, alcoolique et incapable de travailler. Certains affirment
qu'elle était alors âgée d'une cinquantaine d'années, d'autres
qu'elle était au contraire une jeune femme du village, l'une des
plus belles. Toujours est-il qu'elle se signale à plusieurs reprises
pour son fanatisme, quitte à être perçue comme une des
prophétesses du fareinisme. Mais c'est surtout en 1787 qu'elle va,
par sa volonté, donner un retentissement national au mouvement des
frères Bonjour.
Etiennette
souffre de sévères coliques et François Bonjour, en bon curé
fareiniste, s'enferme avec elle pour la soigner... Régulièrement...
Pendant plus d'une heure... Et quelques fois en compagnie de son
amie, Gothon Bernard. Les cris, les jouissements et les coups
s'accumulent, à la manière des méthodes des frères Bonjour.
Etiennette est alors sujette à des miracles : la guérison de
ses coliques, de ses convulsions et de ses enflures, et son retour à
la vie suite à une noyade, dans l'un des nombreux étangs dombistes
selon le père Bonjour, dans une simple crapaudière selon le vicaire
général Jolyclerc.
Demandant
elle-même sa crucifixion suite à une vision chrisitque, les frères
Bonjour acceptent ce passage à l'acte : Etiennette sera
crucifiée le 10 octobre 1787 à 15 heures, dans l'église de
Fareins, et plus précisément dans la chapelle de la Vierge. Un
rapport de l'archevêché de Lyon du 20 décembre 1787 fait référence
à cet événement : Claude Bonjour témoigne alors en précisant
que la crucifixion tendait à prouver la piété et la bonne foi de
sa paroissienne. Le jour J, se tenant contre un mur de la chapelle,
François Bonjour lui tient sa main gauche, Claude Bonjour la main
droite. Chacun y enfoncent alors un clou avec un marteau, avant de
répéter l'action sur les pieds de la convulsionnaire. Dans le
rapport de l'archevêché, Claude Bonjour précise qu'un demi-verre
de sang à peine est sortie du corps d'Etiennette, son seul cri ayant
été « Oh mon Dieu ! ». Les clous sont ensuite
arrachés, elle tombe et se met à prier, les bras en croix. On lui
marche sur ses membres transpercés.
La chute
Condamnés
par l’Église, déclarés hérésiarques, les frères Bonjour sont
confrontés à la virulence de Jean-Marie-François Merlino
(1737-1805), conseiller de la sénéchaussée de Dombes et futur
député de la période révolutionnaire. Il parvient à faire
arrêter et emprisonner au monastère de Tanlay François Bonjour.
L'archevêque de Lyon, Antoine de Malvin de Montazet (1713-1788),
quant à lui, parvient à faire bannir les deux frères.
La Révolution sauve
les Bonjour
Mais
la Révolution, faisant tomber l’Église, sauve les fareinistes de
la disgrâce. François Bonjour revient à Fareins dès 1789. Mais
l'administration révolutionnaire maintient néanmoins la volonté
initiale de l'archevêché et condamne à nouveau les frères Bonjour
à la prison, dont ils sortent en 1791. Ils ne reviendront jamais à
Fareins.
Le renouveau du
fareinisme et l'arrivée du prophète Élie
Lors
du jeudi saint de 1791, Claudine Dauphan, une servante
convulsionnaire a une vision : elle va donner naissance au
prophète Élie. A sa sortie de prison et installé à Paris,
François Bonjour, malgré sa condition de curé, se met en ménage
avec Claudine mais également avec sa propre servante,
Benoite-Françoise Monnier.
Benoite-Françoise
lui fait deux enfants, mais c'est surtout avec Claudine, que sa
dynastie se poursuit. Elle lui donne neuf enfants dont celui qui sera
perçu comme le prophète : Israël-Élie, né le 18 août 1792.
Malgré
une tentative de création d'une nouvelle communauté autour de
l'enfant vu comme le nouveau messie, la famille est arrêtée le 21
janvier 1805, Israël-Élie est placé à l'hospice, ses parents
emprisonnés puis l'ensemble de la famille est exilé en Suisse, à
Ouchy, près de Lausanne.
Le
mouvement s’essouffle alors et disparaît lentement, perdurant
notamment tout au long du XIXe siècle, essentiellement à Fareins, à
Saint-Jean-Bonnefonds (vers Saint-Just-lès-Velay où Claude Bonjour
fut curé) et à Paris. Des membres sont encore recensés dans les
années 1950.
Le devenir de la
famille Bonjour
Claude
Bonjour devient imprimeur et décède dans l'Aisne, à Ribemont, en
1814.
François,
le véritable maître du mouvement, décède à Paris en 1846. Sa
descendance sera, étonnement, aux vues de ce passé sulfureux,
implantée dans la haute bourgeoisie provinciale de Nantes et de
l'Aisne.
Son
fils, le « messie » Israël-Élie, envoyé à Paris,
devient fabricant de taffetas et se distinguera lors des événements
insurrectionnels de juin 1832, étant cité par Victor Hugo dans Les
Misérables. Il épouse
Marie Collet (1794-1829) en 1811, fille de son patron. Installé dans
l'Aisne, où est née sa belle-fille, Israël-Élie y décède en
1866.
Le
couple donnera naissance à dix enfants parmi lesquels deux ont
laissé une descendance :
- François-Marie-Jules (né en 1826) qui deviendra employé de commerce à Reims et épousera Marie-Clotilde Collet, dont il aura un fils, Georges (né en 1857)
- Charles-Paul-Ernest (né en 1829), qui sera négociant et épousera sa cousine Hélène Boucher de La Ville-Jossy (fille d'Angélique Bonjour). Ils auront un enfant, Samuel-Gustave (né en 1859) qui deviendra médecin à Nantes.
Parmi
les huit frères et sœurs d’Israël-Élie (et donc descendants de
François Bonjour), certains ont eu une descendance, essentiellement
dans la haute bourgeoisie provinciale :
- Philippe (1796-1854) par son mariage avec Henriette Picot de Limoëlan, fille d'un receveur des contributions directes, donne la lignée des Bonjour de Limoëlan. Son fils sera notamment employé au ministère de la Marine.
- Marguerite (1798-1853) par son mariage avec François Pihan de La Forest-Belleville, directeur des postes. Son fils sera avocat.
- Angélique (1804-1846) par son mariage avec l'avocat Samuel-Augustin-Benjamin Boucher de La Ville-Jossy
- Marie (1807-1871) par son mariage avec le médecin Jean-Baptiste-François-Mathurin Boucher de La Ville-Jossy, frère de l'époux de sa sœur. Contrairement à sa fratrie qui se forme à Paris, Marie et son époux s'installent à Nantes.
Sources
BOURSEILLER
(Christophe). Les faux messies. Histoire d'une attente.
Paris. Fayard, 1994. 348 p.
BRETON (Guy) et PAUWELS (Louis). Histoires magiques de l'histoire
de France. Paris. Omnibus, 1999. 981 p.
CHANTIN
(Jean-Pierre). Les
Amis de l'Oeuvre de la Vérité. Jansénisme, miracles et fin du
monde au XIXe siècle. Lyon.
Presses Universitaires de Lyon, 1998. 186 p.
DESFOURS DE LA GENETIERE (Charles-François). Lettre d'un curé du
diocèse de Lyon à ses confrères sur les causes de l'enlèvement de
M. Bonjour, curé de la paroisse de Fareins en Dombes. 1787. 126
p.
JOLYCLERC (abbé). Lettre de M. Jolyclerc, ancien vicaire général
du diocèse de Lyon, à MM. Bonjour ainsi qu'à leurs apologistes et
aux auteurs des lettres et écrits publiés pour leur défense. 1788
SÉCHÉ (Léon). Les derniers jansénistes depuis la ruine de
Port-Royal. Nabu Press, 2013. 432 p.
Formidable article !!!!!!!!!!!!
RépondreSupprimerBeaucoup d'erreurs...
RépondreSupprimerClaude Bonjour est décédé à Ouchy et a été inhumé au cimetière d'assens le 6 Mars 1814
RépondreSupprimerIsraël Elie Bonjour a épousé Marie Collet fille de Damien et de Jeanne Pierrette Million , le 4 janvier 1812 à Paris.Contrat de mariage passer chez Maître Morand notaire à Paris le 3 janvier 1812
RépondreSupprimerLa famille Bonjour n'a pas été exilé! C'est à leur requête auprès des services de Foucher qu'ils ont manifestés le désir de rejoindre la Suisse où ils avaient de la famille, disaient ils...
RépondreSupprimerEt après la Suisse ?
SupprimerEt il est écrit qu'ils ont recensé des membres en 1950...
Sur la base de quoi les ont-ils recensé comme héritier de la "pensée bonjour" ?
En gros qu'el est l'heritage actuel de tout cela ?
Vous omettez aussi Mélanie Andronique,Fille d'Israël Elie Bonjour, née à Ouchy le 8 mai 1817 épouse de Chrétien Huber, mariés à Paris ancien 2 ème arrondissement le 23 septembre 1847.Le couple à migré à New York Buffalo où ils ont eu deux filles.Après le décés de Chrétien Huber à Buffallo, la mère et les deux filles sont revenues sur Paris.
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RépondreSupprimerUn article bien peu scientifique
RépondreSupprimerUn commentaire bien peu constructif
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