lundi 15 avril 2013

Pauvres ruines romaines d'Izernore...

En plein classement de la commune d'Izernore, j'ai une nouvelle fois fait une petite découverte sympathique. Une fois n'est pas coutume, ma trouvaille vous aménera non pas il y a 100, 200, 300 ou 400 ans... Mais il y a un environ 2000 ans !

Izernore : un village méconnu

Izernore se situe dans l'arrondissement de Nantua, dans le Haut-Bugey, soit au nord-est du département de l'Ain.

Entrée d'Izernore. 5 Fi 192 (AD Ain)

Longtemps appelée Isarnore ou Ysarnore, elle prend son nom actuel dès la Révolution.
 
Au Moyen-âge, Izernore est un important atelier monétaire et surtout un point de convergence de plusieurs routes d'importance. Elle constitue également une seigneurie dépendante de la famille de Bussy puis, dès le XVe siècle, de celle de Matafelon.

La ville subit au cours des siècles de nombreux ravages : par les Alamans au IVe siècle, par les Hongres au Xe siècle, et, plus récemment, par les Nazis, la commune étant située autour de différents maquis. Certains y ont même vu le siège d'Alésia...

A noter qu'Izernore est le lieu de naissance de trois saints de l'Eglise catholique, chose rare pour une petite cité médiévale : les deux frères fondateurs de l'abbaye de Condat (future Saint-Claude, siège épiscopal jurassien) : saint Lupicin (vers 415) et saint Romain (vers 390), puis le futur abbé de Condat saint Oyand.

Isarnodurum, centre urbain gallo-romain

Mais Izernore est surtout connue dans la région pour être détentrice de ruines romaines. Cette ville, surement l'une des plus anciennes du département, existait déjà dans la période gauloise du IIe et IIIe siècle avant J.C. Elle est donc de création celtique selon toute vraisemblance.

Colonnes de l'ancien temple romain d'Izernore. 5 Fi 192 (AD Ain)

Appelée Isarnodurum, signifiant pour les uns "forteresse d'Isarnos" en latin ou "porte de fer" en celte, elle aurait eu une assez grande importance lors de la domination romaine. Le grand historien local dont je suis particulièrement fervent, Samuel Guichenon, parle de cette cité et de ces ruines en ces termes :

"[...] où se voient encor les vestiges d'un superbe temple dédié à Mercure, qui est celuy dont parle Surius"

Plus loin, il donne davantage de renseignements, repris par Charles Revel un siècle plus tard :
"Au village d'Isarnore, il y avoit autrefois un très beau temple dédié à Mercure, auquel il ne nous reste que trois colonnes de marbre debout. Les deux premiers ont trente cinq pieds d'hauteur et treize en grosseur, la troisième a bien la même grosseur, mais la hauteur n'est que de vingt-cinq pieds. L'architrave du temple est encore en son entier dans la bassecour du curé du lieu, où se lit cette inscription : MERCVRIO SACRVM. LVCIVS TVTELLVS ET SVI. V.S.L.M."

Les colonnes du temple romain d'Izernore. 5 Fi 192 (AD Ain)

Selon les recherches actuelles, Isarnodurum était le seul centre urbain gallo-romain du Haut-Bugey, tous les autres de l'actuel département de l'Ain étaient situés dans les plaines : Tannum Burgus (Bourg-en-Bresse), Bellicensis (Belley), Brioratum (Briord) ou encore Venetonimagum (Vieu).

Les ruines évoquées par Guichenon ainsi que celles découvertes depuis constituent un infime échantillon d'une cité dont l'étendue est encore inconnue. On y retrouve désormais : un temple de 9 mètres de haut (dédié soit à Mercure ou à Mars), un établissement thermal, deux villae (à Pérignat et à Bussy, hameaux de la commune) et des habitations.

Les bains romains d'Izernore. 5 Fi 192 (AD Ain)



Dans une lettre du maire d'Izernore, Saxe, en date du 22 messidor an 8 et trouvée dans le classement de la sous-série 2 O, il est mis en avant que l'église de la commune est construite sur une partie de l'ancien temple, les ruines étant alors décrites :

"Ce monument était jadis un temple dédié au Dieu Mars. Il est un reste des débris de l'ancienne ville d'Izer ainsi que trois colonnes qui existent encore debout sur leurs socles, à 4 à 500 mètres environ de distance d'Izernore, qui sont de même des vestiges d'un temple dédié dans le tems à Mercure."

Le début des fouilles à caractère scientifique

En 1784, le président de la Société d'Emulation de l'Ain et très grand érudit local, Thomas Riboud, lance l'idée de commencer des fouilles à Izernore. Il confie cette mission à Prost et Molinard.

En 1823, la SEA finance à nouveau une fouille avec Désiré Monnier puis Alexandre de Reydellet.

L'affaire de la croix du Jubilé

On en vient désormais à mes quelques trouvailles dans la sous-série 2 O, parties d'une lettre écrite par le sous-préfet de Nantua au maire d'Izernore, le 23 juin 1827. La citation vaut plus que de la paraphrase :

"Monsieur le maire, lorsque vous m'avez entretenu de l'emplacement choisi pour l'érection d'une croix de jubilé et que je vous dis que ce monument étant élevé aux frais volontaires des habitants et de la fabrique [...], j'ignorais de quels matériaux cette croix devait être construite, et je n'aurais pu imaginer qu'on eut songé à prendre, pour l'élever, des pierres appartenant au monument antique et en ruine qui fait l'honneur de votre commune et auquel on ne devrait toucher que pour en assurer la conservation dans son état actuel."

Le sous-préfet rappelle ensuite qu'il a fait ce constat la veille et que cela méritait un écrit officiel. Visiblement ému de cette réutilisation, il crie au vandalisme... Et il y a de quoi ! Bien sur, il ne faut pas se leurrer, les ruines d'Izernore ont très certainement servi à des fins privées ou ont été récupérées par des collectionneurs.

Toujours est-il que le sous-préfet écrit le lendemain au préfet de l'Ain, Jean-Baptiste Rogniat. Il précise que les pièces antiques sont utilisées pour la base et le piédestal de la croix. Il certifie également avoir ordonné la suspension des travaux.

Le 30 juin, sans réponse du préfet, le sous-préfet précise ses propos avec des éléments nouveaux : les travaux ont continué et se sont même achevés au point que la croix a pu être bénite le dimanche. Pour toucher le préfet, il met en avant l'insubordination de l'élu local :

"Si une pareille insoumission de la part du maire aux ordres de l'autorité demeure impunie, il ne me sera plus possible de rien prescrire. Car le pire de tout, c'est de voir méconnaître les ordres donnés."

Pour éviter tout amalgamme, le sous-préfet signale que cette affaire n'a rien à voir avec l'aspect religieux de la réutilisation de la pierre mais plutôt de l'utilisation d'un monument public. Certes en ruine, mais public...
Le 2 juillet, le préfet de l'Ain répond au sous-préfet en étant de l'avis de son sous-préfet, lui laissant l'idée d'une "punition" :

"Si vous savez le moyen de la punir (ndla : cette insoumission), je vous prie de me le proposer. Quant à moi je l'ignore."

Ce à quoi le sous-préfet demande à son supérieur hiérarchique d'adresser directement un courrier au maire d'Izernore, qui serait ainsi considéré comme un blâme mais aussi une manifestation d'autorité venant de la préfecture mais également de la sous-préfecture :

"Une lettre directe et sévère de vous, Monsieur le Préfet, au maire, serait une répression suffisante, et permettez moi de la regarder comme indispensable dans l'intérêt de mon autorité. Elle montrerait à ce fonctionnaire que j'avais eu droit de faire suspendre la construction."

La fin de sa lettre montre enfin son intérêt pour la préservation des ruines antiques pour le bien de la nation :

"Enfin, votre lettre préserverait les ruines du temple d'Izernore de plus grandes dégradations à l'avenir."

Avec ces tenants et ces aboutissants, la lettre du préfet de l'Ain au maire d'Izernore, le 23 juillet, est sans véritable surprise. Néanmoins, elle mérite d'être citée dans son ensemble, résumant un esprit républicain, culturel et législatif :
"Monsieur le maire, ce n'est pas sans surprise que j'ai appris que malgré la défense faite par Monsieur le sous-préfet vous avez continué d'employer des matériaux démolis des monuments antiques qui se trouvent dans votre commune pour faire construire une croix de jubilé. En agissant ainsi, non seulement vous vous êtes permis de transgresser des ordres supérieurs, mais encore vous avez fait ce que, par vos fonctions de maire et sous votre responsabilité, vous êtes chargé d'empêcher. Les lois du 4 fructidor an 2 et 8 brumaire an 3 ont renouvelé les défenses déjà existantes à cet égard et prononcent des peines graves contre les personnes qui commettent de pareils délits. Je vous invite à être plus circonspect à l'avenir et à être convaincu que lorsque vous recevez des injonctions de l'autorité supérieure, ce n'est que pour l'exécution des lois auxquelles tous doivent être soumis."

L'histoire de cette affaire que j'ai nommé "affaire de la croix de Jubilé" se termine ainsi, sans savoir si les pierres gallo-romaines ont été récupérées. Pour cela, une petite recherche dans la sous-série 1 O pourrait donner la réponse.

L'affaire des dégradations de 1828

Un peu plus d'un an plus tard, des communications entre le préfet de l'Ain et le sous-préfet de Nantua reprennent au sujet des ruines d'Izernore.

Cette fois, il s'agit de dégradations : des pierres ont été déplacées, ce qui pouvait entrainer la chute de l'une des colonnes restantes du monument. Par une lettre du 29 décembre 1828, le sous-préfet précise avoir demandé la publication d'une "défense expresse de toucher au monument". Il émet alors une solution assez originale et déja évoquée dans le passé : la translation du cimetière autour des ruines gallo-romaines : un lieu sacré et une enceinte empêcheraient les dégradations.

Néanmoins, il précise que chaque jour, "plus de 15 tombereaux de terres sont enlevés".

La suite de ce projet n'est malheureusment pas évoqué mais le cimetière n'a en tous cas jamais été établi sur les ruines, pour le bonheur des archéologues.

Depuis le début du XIXe siècle

En 1840, la solution visant à protéger le site est toute trouvée : il devient monument historique.

De 1906 à 1910, les fouilles sont dirigées par Tournéry, Emile Chanel et le maire Auguste Cheney.

En 1911, le spéléologue et professeur au lycée Lalande de Bourg, Emile Chanel, met en place ce qui deviendra le futur musée municipal d'Izernore. Le but premier est de pouvoir accueillir les découvertes archéologiques de la commune et de ses environs.

Sources

GUICHENON Samuel. Histoire de Bresse et de Bugey. Huguetan & Ravaud, 1650.

PHILIPON Edouard. Dictionnaire topographique de la France. Paris, 1911. 528 p.

REVEL Charles. Usages des pays de Bresse, Bugey et Gex. Besson, 1775. 739 p.
Site internet du site archéologique d'Izernore : www.archeologie-izernore.com

Archives départementales de l'Ain : sous-série 2 O (commune d'Izernore)

3 commentaires:

  1. Au fait, voici mon nom : D. Fellague, vous trouverez facilement mon mail.
    Bien cordialement

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  2. Bonjour, je vous remercie pour votre commentaire mais j'ai l'impression qu'il en manque un morceau, surement celui donnant votre avis sur l'article. Je serai heureux de le connaître.

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  3. Dans les années 1950, le Professeur Raymond Chevalier, Membre de la Société d'Emulation de l'Ain, éminent archéologue, a réalisé des fouilles à Izernore, avec l'aide matérielle du Touring club de France. De nos jours, un lotissement d'Izernore recouvre, hélas, une partie du site gallo-romain de cette localité... sic transit gloria mundi...

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